« Il est difficile de faire comprendre quelque chose à quelqu’un lorsque son salaire lui impose de ne pas comprendre. »
L’écrivain Sinclair Lewis n’aurait probablement pas pu imaginer à quel point sa phrase était visionnaire.
Mardi dernier, Peiter « Mudge » Zetko, l’ex-responsable de la sécurité informatique de Twitter, était auditionné par le Sénat américain sous le statut de lanceur d’alerte.
Pendant 2h30, Mudge a dressé le portrait accablant d’une entreprise dont la seule préoccupation serait de générer du profit, souvent au détriment de ses propres utilisateurs.
L’histoire commence en juillet 2020. Twitter vient de subir un hack retentissant.
Les comptes les plus suivis de la plateforme – notamment celui de l’actuel président des États-Unis – sont infiltrés par un adolescent américain de 17 ans.
Si les conséquences de l’attaque sont dérisoires, sa symbolique est inquiétante.
Une puissance étrangère étant légèrement mieux coordonnée qu’un mineur, on peut légitimement se demander si ces failles n’ont pas déjà été exploitées par d’autres acteurs.
Suite à cette crise sans précédent, l’ex-CEO de Twitter, Jack Dorsey, recrute Mudge, une légende dans l’univers des hackers, pour colmater les brèches de l’entreprise.
En janvier dernier, Mudge est licencié.
Twitter justifie son geste en pointant du doigt les mauvaises performances du hacker au sein de l’entreprise.
Mudge contre-attaque en expliquant que sa direction ignorait ses avertissements sur les failles du réseau social, et plaçait sa croissance financière au-dessus de la sécurité de ses utilisateurs.
L’entreprise, aveuglée par ses objectifs de revenu, aurait balayé sous le tapis des sujets pourtant prioritaires.
Voici une liste non-exhaustive des problèmes soulevés par Mudge :
- La moitié des employés (soit environ 4000 ingénieurs) aurait accès à l’ensemble des données des utilisateurs de Twitter. Selon Mudge, c’est trop, et c’est dangereux.
- Par exemple, un employé de Twitter a récemment été condamné par la justice pour avoir revendu les données de dissidents politiques au régime saoudien. C’est extrêmement grave, encore plus lorsqu’on a en mémoire l’affaire Khashoggi.
- Twitter serait incapable de repérer et d’identifier les tentatives d’infiltration dans son système informatique.
- Le FBI aurait identifié un employé du réseau social comme étant un agent travaillant pour le gouvernement chinois.
- Twitter aurait cherché à augmenter ses revenus à l’étranger en discutant avec des régimes autoritaires comme la Russie, quitte à revoir sa charte éthique à la baisse, notamment en matière de censure.
Certes, Twitter n’a pas encore été en mesure de se défendre face à ces allégations.
Pourtant, peu de doutes existent sur les failles gigantesques de la plateforme, tandis que les effets pervers du business model de la Big Tech ne sont plus à démontrer.
Alors que l’orage vient d’éclater, la pluie qui risque de s’abattre sur Twitter tombe à pic pour un homme : Elon Musk.
À l’aube du procès entre le milliardaire et le réseau social, le témoignage de Mudge représente un potentiel point de bascule.
Non seulement pour Musk, mais surtout pour notre société.
Serons-nous un jour capables de mettre les nouvelles technologies au service de notre idéal démocratique ?
Tant que les intérêts de la Big Tech ne seront pas alignés avec les nôtres, on peut en douter.