La guerre de l’information causera t-elle la fin de la démocratie ?

De la même manière que la plupart des civilisations humaines ont disparu, les systèmes politiques disposent d’une durée de vie limitée.

La marche de l’histoire peut régler, à tout moment, le sort des sociétés les plus dominantes, comme ce fut le cas pour l’Empire Romain. 

L’histoire aura t-elle également raison de notre modèle démocratique ?

Personne ne peut affirmer connaître le futur de la civilisation occidentale, qui semblait pourtant avoir trouvé, dans la démocratie, “le pire des systèmes, à l’exclusion de tous les autres”, comme l’exprimait Winston Churchill.

En 1787, lors de l’adoption de la Constitution des États-Unis, Benjamin Franklin, polymathe et l’un de ses pères fondateurs, avait déjà prévenu.

À la question “Docteur, qu’avons-nous ? Une république ou une monarchie ?”

Franklin aurait répondu :

“Une république. Si vous pouvez la tenir.”

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Mais alors, comment maintient t-on une démocratie en vie ? 

D’abord, en examinant de quoi ce système est fait.

Les piliers d’une démocratie peuvent seulement tenir grâce à une sphère publique saine, composée de citoyens qui adhèrent à un certain nombre de normes et d’institutions.

À défaut de réunir ces conditions, le projet démocratique d’une nation aura le plus grand mal à se développer.

C’est l’un des blocages que rencontre actuellement la société américaine, dans laquelle l’intégrité même du vote électoral est remise en cause par de nombreux citoyens.

Un pouvoir comme la presse est en partie responsable de cette situation. La presse détient un rôle clé dans le fonctionnement démocratique d’une société.

En effet, comme il est impossible pour un individu de traiter l’ensemble des informations disponibles dans le monde, celui-ci doit pouvoir s’appuyer sur des outils qui vont l’aider à sélectionner celles qui lui permettront de se forger une bonne compréhension de la réalité.

Cela nécessite l’accès à une information libre et juste.

L’acquisition de ces connaissances permettra ensuite à un citoyen de faire des choix plus rationnels qu’auparavant, comme lors des élections présidentielles.

L’éducation, à l’inverse de la propagande, est au service de l’idéal démocratique.

Fake news !

Le problème, c’est que notre modèle démocratique est la cible d’attaques constantes visants à le fragiliser.

Pour le comprendre, prenons des lunettes de géopoliticien.

D’abord, les relations internationales sont souvent basées sur une forme de rivalité.

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Par exemple, les États-Unis ont beau avoir quelques intérêts communs avec la Russie, il n’en reste pas moins que les deux puissances jouent des coudes afin d’obtenir une hégémonie mondiale.

Ainsi, on peut voir une facette de leur rivalité comme celle de deux équipes sur un terrain de foot.

Dans un match, un joueur cherchera sans arrêt à désinformer son adversaire pour marquer un but, par exemple en feintant un mouvement vers la gauche pour mieux le dribbler sur la droite. 

De la même manière, dans le « jeu international », un pays aura parfois intérêt à employer des stratégies de désinformation afin de tromper et de prendre l’avantage sur son rival.

L’une de ces stratégies consiste à déstabiliser le fonctionnement interne du pays adverse.

Cela peut revenir à créer une fausse vidéo mettant en scène de supposés crimes de guerre commis par son pays rival, ce qui aura tendance à affaiblir sa légitimité.

En détruisant la confiance qui, jusque-là, assurait des relations saines entre citoyens et institutions, un État peut ébranler le modèle démocratique de son rival, et par la même occasion, conforter sa domination géopolitique, économique, ou même idéologique.

The Times They Are A Changin’

Aujourd’hui, les moyens dont dispose un État pour déstabiliser des pays rivaux n’ont jamais été aussi sophistiqués.

Nos progrès technologiques ont rendu les efforts de propagande plus efficaces et moins discernables que jamais.

Par exemple, en octobre 2019, un rapport interne de Facebook dévoilait avec surprise que 19 des 20 pages chrétiennes américaines les plus populaires sur la plateforme étaient en fait gérées par des fermes à trolls implantées dans les Balkans.

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Les fermes à trolls sont des groupes organisés et payés pour produire et diffuser de la propagande sur internet. 

Au total, 140 millions d’utilisateurs américains seraient touchés tous les mois par du contenu produit par ces groupes.

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Les fermes à trolls sont parfois des organes indépendants, mais peuvent également agir pour le compte de puissances étatiques.

Ainsi, le gouvernement russe aurait fait de la Macédoine l’un de ses principaux sous-traitants dans la production de trolls visants des utilisateurs américains.

En intégrant les fermes à trolls dans sa stratégie d’influence, la Russie ne cherche pas forcément à déterminer le futur président des États-Unis, comme on aurait pu le croire lors de l’élection de Trump en 2016.

L’objectif, plus ambitieux, consiste à semer le chaos dans la société américaine, en montant citoyens et dirigeants politiques les uns contre les autres.

Aussi, les fermes à trolls illustrent parfaitement les inquiétantes mutations de la guerre de l’information

Nos démocraties pourraient en être les premières victimes.

« Democracy is so overrated »

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Nos démocraties sont censées être les garantes de principes fondamentaux comme la liberté d’expression.

Néanmoins, ces principes peuvent, malgré eux, faciliter la diffusion de la propagande étrangère.

Pendant ce temps, des régimes autoritaires comme la Chine ont moins de difficultés à interdire l’activité de plateformes étrangères dans leur pays, comme avec Facebook.

Il est également plus facile de polariser un système bipartite comme les États-Unis qu’un régime au parti unique comme la Chine, qui fonctionne donc en bloc uni.

Face à ce phénomène, les sociétés occidentales doivent trouver des solutions.

Certaines d’entre elles pourraient être implémentées très rapidement. 

Par exemple, on sait que sur les réseaux sociaux, les fake news et les contenus violents se propagent plus vite et touchent plus de personnes que les autres types de contenus, ce qui rend ces plateformes polarisantes et… explosives.

Afin de limiter ces dérives, un employé de Facebook avait émis l’idée de supprimer le bouton de partage.

Craignant une baisse de l’engagement sur sa plateforme, cette solution avait été rejetée par Facebook.

À l’inverse, un outil numérique de délibération citoyenne (Pol.is) a été adopté par Taïwan afin d’aider ses citoyens à délibérer autour de certaines problématiques sociétales.

Les développeurs de l’outil ont décidé d’interdire aux participants de commenter les propositions des autres, ce qui a éliminé toute possibilité de troll sur la plateforme.

Le résultat a été extrêmement positif, et permet au modèle démocratique taïwanais de fleurir.

D’autres solutions plus ambitieuses (si seulement on décide de les explorer) prendront néanmoins plus de temps à faire effet.

Par exemple, il est indispensable de donner aux citoyens les outils cognitifs leur permettant d’établir un rapport critique avec les informations auxquelles ils sont exposés en permanence.

Les nouvelles technologies de l’information amplifient la guerre de l’information, et mettent en péril la stabilité de nos démocraties. Pourtant, ces mêmes technologies pourraient avoir l’effet l’inverse.

J’explorerai certaines de ces solutions dans une prochaine vidéo sur la démocratie digitale taïwanaise.

What’s next ?

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Benjamin Franklin avait beau être un inventeur de génie, il n’aurait probablement pas pu imaginer le monde technologique dans lequel nous vivons aujourd’hui.

Néanmoins, s’il était avec nous, et qu’on pouvait lui demander vers quel système politique nous nous dirigions, on pourrait l’imaginer répondre : 

“Vers une démocratie. Si seulement vous parvenez à tenir vos technologies”.

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