Fahrenheit 451

Le roman culte de Ray Bradbury, publié en 1953, trouve des résonances frappantes avec notre époque actuelle.

Dans la société futuriste que nous décrit l’écrivain américain, la brigade de pompiers dirigée par le capitaine Beatty ne s’occupe pas d’éteindre les incendies. Au contraire, elle les allument.

La sirène d’alarme est déclenchée dès qu’un foyer abritant des livres a été repéré. Jugés dangereux par une société vidée de tout esprit critique, ces livres doivent êtres brûlés afin de ne jamais être lus.

Comment le pouvoir justifie t-il cette politique dans le roman ?

Brûler les livres serait indispensable pour préserver le bonheur de la société.

Évidemment, le bonheur décrit dans cette société est purement illusoire.

C’est un bonheur de façade, comme on pourrait s’imaginer qu’un citoyen nord-coréen s’auto-persuade de son bonheur, sans jamais le vivre réellement.

Afin de préserver le bonheur léthargique d’individus manipulés et d’asseoir son emprise, le pouvoir interdit les livres.

Si le livre est vu comme un danger, c’est parce que le livre pousse l’homme à penser. Il le fait sortir de sa zone de confort. Le livre « montre les pores sur le visage de la vie » comme l’explique un personnage du roman.

En mettant l’homme face à ses propres contradictions, et en l’exposant à l’angoisse, le livre lui permet de se rapprocher d’une forme de vérité.

Finalement, c’est la quête de la vérité qui fait de Montag, le personnage principal du roman, un rebelle.

Cette quête va animer Montag tout au long du livre, et l’opposera à la société dystopique de Fahrenheit 451.

Un monde si éloigné du nôtre ?

La question qui se pose est la suivante : est-ce que le monde décrit par Bradbury trouve des résonances dans notre monde actuel ?

Je donne ici mon avis.

Selon moi, la liberté d’expression traverse une crise dans le monde occidental.

Les individus qui la compose semblent s’enfermer dans une bulle idéologique protectrice, qui à la fâcheuse tendance de les empêcher de penser par eux-mêmes.

Les causes sont certainement diverses et variées.

L’une des principales sources de ce problème serait la suivante.

Sous l’effet d’un individualisme que l’idéologie dominante nous a vendu à toutes les sauces, la société occidentale nous fait croire que nous détenons des droits nouveaux.

Ces droits se développent dans beaucoup de pays et peuvent porter atteinte à la démocratie.

Mais de quels droits parle t-on ?

Je parle ici du droit ne pas être contredit. De ne pas être offusqué. De ne pas être débattu, etc.

Au nom d’une société qui mettrait un point d’honneur à préserver le bonheur avant tout, la pluralité des opinions est menacée.

En effet, en interdisant le débat sous peine de blesser son interlocuteur, les traits d’une société hypersensible commencent à se tracer.

Dans cette société, les individus sont de plus en plus susceptibles et vulnérables à la contradiction. Ces effets commencent déjà à se faire ressentir. En démontre la création de « safe spaces » dans certaines universités américaines, permettant à des étudiants de s’enfermer dans ces fameuses « bulles protectrices ».

Un grand perdant ressort de ce phénomène : la liberté d’expression.

« Nous créons l’égalité »

Dans Fahrenheit 451, l’idéologie dominante justifie la censure au nom du droit des minorités. Si un livre dérange les noirs, brûlons-le, tout simplement. Si un livre dérange les fumeurs, pareil. Ne choquons personne… Rendons les gens heureux !

Pour éviter d’offenser une personne ou un groupe, chaque individu doit désormais être placé sur un même pied d’égalité.

Au bout de cette logique, le pouvoir pratique la falsification historique, afin de créer une société parfaitement « égalitaire », reniant ainsi toute différence entre les individus qui la compose.

Si nous n’en sommes pas là, nous pouvons néanmoins observer une esquisse de ce phénomène dans le monde occidental.

L’argument des minorités

« Plus la population est grande, plus les minorités sont nombreuses » explique le terrible chef brigadier Beatty au début du roman. Ainsi, la société décrite dans Fahrenheit 451 ne peut plus se permettre de déranger ses minorités.

Le droit des minorités de ne pas être offensé est donc un motif utilisé par le pouvoir pour brimer la liberté d’expression et de penser.

Toutes proportions gardées, cette rhétorique est semblable à celle que nous vivons actuellement.

En 2020, le film autant en emporte le vent a été retiré de la chaîne HBO car jugé raciste. Si nous commençons à passer au peigne fin chaque oeuvre du XXème siècle afin d’interdire celles qui ne sont pas en adéquation avec nos valeurs actuelles, nous serons très vite dépourvus de films à regarder.

Et donc de matière à penser.

Et qui pourrait affirmer que nos productions actuelles ne véhiculent pas des valeurs choquantes sans que l’on s’en aperçoive ? Celles-ci seront t-elles également détruites par un tribunal du XXIIème siècle ?

Comme dans Fahrenheit 451, nous sommes peut-être à l’aube d’un processus d’effacement de l’histoire.

La liberté d’expression en jeu

La censure et l’hypersensibilisation de la société forment et alimentent un cercle vicieux. Si la censure ne s’abat pas sur une oeuvre, alors les mercenaires de la twittosphère crieront au scandale, et la censure finira par agir.

De la même manière, lorsque la censure devient une norme, elle formate les esprits et crée des individus hypersensibles. Ceux-ci réagiront avec véhémence dès qu’un discours ne sera pas en phase avec leur système de pensée.

Ainsi, des mouvements d’émancipation récents comme #metoo, aussi légitimes soient t-ils, peuvent rapidement se transformer en exutoire collectif.

Dans la même veine, un dentiste abat un lion et se prend en photo avec son trophée ? Jetez-le à la fosse aux lions numérique. Des millions d’utilisateurs se chargeront d’achever un coupable déjà à terre, dans une impulsion presque primitive.

Il me paraît aujourd’hui essentiel de remettre en question l’évolution que prend actuellement le débat dans notre société.

Souhaite t-on se retrouver dans une société aseptisée, dans laquelle la pensée unique règne, comme dans Fahrenheit 451 ?

Ou est t-on prêt à travailler pour conserver une vraie liberté d’expression, malgré tous les défauts que ce choix comporte ?

À nous de choisir.

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